Artikel van Emilie Arnould, verschenen in La Cité van 24-11-1984

   

La communauté chrétienne et les Juifs pendant la guerre 
(
La Cité 24-11-1984)

Autres articles : « Les Chrétiens dans la Résistance» - « La JOC et la Ré sistance» 

En marge des émissions «L'Ordre Nouveau» (RTBF 2), Emilie Arnould a évoqué ici la rôle de l'Eglise et de la JOC durant la guerre (« La Cité » des 21 et 22 novembre).
Elle aborde aujourd'hui la question de l'attitude des chrétiens face au drame juif en 1940-45.

Je sais fort bien que beaucoup d'incroyants ont aidé les Juifs cruellement persécutés. Je sais que l'Ouvre national de l'Enfance en a sauvé environ quatre mille. Mais mon propos se situe au plan de la communauté chrétienne.

Dès 1938 nous avons reçu, à la JOC , ces syndicalistes allemands, des journalistes, des professeurs d'Université, qui cherchaient un refuge contre les persécutions d'Europe centrale. Des dirigeantes de la JOCF, telle Madeleine Techy et Lucie Bragard ont caché des Juifs. Madeleine Techy a hébergé, dès 1938, le responsable de la Radio de Prague. Elle l'a caché pendant toute la guerre. Moi-même, j'ai aide un professeur de l'Université de Prague. Dès mai 1940, à Toulouse, au service d'accueil de la JOC belge, nous sommes venues au secours de bon nombre de Juifs affolés. Je me rappelle la douleur de ce vieux professeur d'Université en Pologne, qui venait pour la deuxième fois de perdre sa pairie, il se sentait doublement menacé: en tant que Juif de race et catholique de religion.

Dès l'invasion du 10 mai 1940, la machine de destruction nazie se mit en marche chez nous: inscription obligatoire des Juifs, port de l'étoile |aune, tracasseries plus cruelles les unes que les autres et, en été 1942, volonté d'extermination des Juifs.

D'après certaines estimations, il y avait approximativement chez nous, en 1940. 56.000 Juifs dont beaucoup de réfugiés. On donne aussi le nombre de 60.000. Vingt-six mille Juifs furent déportes et gazes à Auschwitz; deux mille, environ, furent tués en Belgique. En même temps, de 25.000 à 30.000 furent caches en Belgique.

Dans notre pays, les chrétiens se mirent en branle dès 1941. A Malines, le cardinal s'inscrit pour une somme de 3 millions mis à la disposition de la communauté juive. Il met un grand local à la disposition de vieillards juifs isoles. Il demande à l'autorité allemande que soient exemptés du «départ en Allemagne» plusieurs catégories de Juifs. Réponse de l'administration allemande: Ce n'est pas de notre compétence. C était de la compétence des plus grands criminels du IIIme Reich, les hommes directs d'Hitler. Les evêques demandent alors à toutes les institutions chrétiennes de mettre les Juifs à l'abri. Cela se fera et les couvents lèveront les clôtures pour y cacher des Juifs.

A Liège, Mgr Kerkhofs héberge, de 1942 à 1944,  le grand rabbin Solomon Ullmann; quant au rabbin de Liège, il le cache dans un couvent avec sa famille. De plus, Mgr Kerkhofs place environ trois cents enfants et adultes juifs dans les résidences de Banneux, chez les Soeurs de Roclenge (Limbourg) et jusqu'à Porcheresse. Son homme d'affaires est l'avocat liégeois Albert van den Berg aidé d'un secrétaire. Pierre Coune. Arrêtés par la Gestapo, ils sont envoyés en camp de concentration. Van den Berg est mort à Hambourg et Pierre Coune n'en reviendra que pour mourir. L'oeuvre sera poursuivie par un autre chrétien, Georges Fonsny, aidé de bon nombre de collaborateurs.

A Louvain, Dom Bruno Reynders. benedictin du Mont-César, fait la même chose. Il s'occupe de 226 enfants et de 90 adultes juifs. Recherché par la Gestapo qui a perquisitionné sa cellule, il s'installe a Bruxelles et continue son action. A Charneux, l'abbé Nolens héberge le grand pianiste juif Stefan Askenaze.

A Namur, Mgr Charue soutient financièrement l'abbé André qui passe la guerre a cacher des Juifs. Il en sauva plus de quatre cents dont des ménages anversois. Certaines nuits, il en hébergeait chez lui près de trente avant de les placer en lieu sûr. En septembre 1944, il y avait deux ans qu'il n'avait plus dormi dans un lit.
Un soir, il arriva au secrétariat national de JOCF avec sept jeunes Juifs qu'il fallait loger à tout prix Yvette Havaux, secrétaire générale, les accepta en dépit de tous les règlements. Elle eut raison.

Au diocèse de Tournai, Mgr Delmotte loua un château pour y abriterJuifs et réfractaires.

Au Petit Séminaire de Bonne Espérance (Binche), on hébergea des Juifs, des refractaires et même deux soldats allemands déserteurs.

A Bruxelles, des religieuses abritaient une douzaine de fillettes juives. La Gestapo survint, mais la supérieure était rusée. Elle marqua son accord pour le départ des fillettes mais demanda un sursis pour préparer le linge et les valises. Sur appel de la supérieure, des résistants armés vinrent enlever les petites Juives, de nuit...

A Tournappe (Dworp), la JOC avait un grand domaine où elle cachait des anémiés, des rêfractaires et des Juifs.

Avec d'autres, le Père Van Ostayen, jésuite, Limbourgeois , s'occupait du camp. Un jour, les SS visitent sa cellule et découvrent un paquet de cartes d'identité et une liste de Juifs.

Arrêté, il mourut au camp de Bergen-Belsen dans une chambre à gaz.

A Zonhoven-Termolen (Limbourg). l'abbé Lux fait passer des Juifs de Maastricht en Belgique avec l'aide de la famille de Robert Hertogen, dirigeant de la JOC flamande; on les cache et on les sauve. Des Juifs liégeois y arrivent aussi.

Après la guerre, beaucoup de ces chrétiens, prêtres et laïcs, furent remerciés par les plus hautes autorités juives.

Un dernier fait parmi beaucoup d'autres:

Si Marcel Liebman, professeur à l'Université de Bruxelles, est aujourd'hui vivant, il le doit à la JOC. Adolescent , il arrivait avec son frère Léon à la Cure pour anémiés à Schaltin, en Condroz. Il y avait là 80 jeunes gens, quelques anémiés, de nombreux réfractaires et 30 adolescents juifs.

Descente de la Gestapo en août 1944. Vingt-six Juifs lui échappent. Furieux de n'avoir pu mettre la main sur les 30 Juifs dont ils avaient les noms, ils emmenèrent les trois dirigeants jocistes, mais Marcel Liebman et son frère étaient sauvés. Les trois jocistes furent envoyés au camp de Buchenwald, mais l'un des trois, Henri André, d'Etterbeek, n'en revint pas (témoignage de Lucien De Fauw, le chef des trois jocistes).

Marcel Liebman le raconte dans son livre: «Né Juif».

Si l'on veut sauver la démocratie, il faut prendre des risques pour les droits de l'homme et les libertés publiques. Combien d'hommes et de femmes, croyants ou incroyants, sont encore mis à mort, aujourd'hui. parce qu'ils défendent la liberté humaine et luttent pour la justice!...

Emilie Arnould